Fin au traitement infâme contre les victimes et ses défenseurs
De différentes villes dans le monde, 22 Février 2013
Monsieur le Président Juan Manuel Santos,
Nous voulons partager notre profonde inquiétude à propos de la façon impitoyable et humiliante dont ont été traitées les victimes de violations des droits de l’Homme ainsi que les organisations les soutenant telles que la Commission Intereclesiale de Justice et Paix. Cela a lieu tant au niveau national qu’international.
Nous connaissons bien les communautés du Cacarica, département du Chocó, et en particulier l’Association Communauté d’Auto-Détermination pour la Vie et la Dignité, CAVIDA. C’est d’ailleurs dans cette communauté qu’est née la Commission Ethique dont aujourd’hui nous sommes membres. Nous sommes allés là-bas et avons visité leurs territoires. Certains d’entre nous ont fait partie du tribunal permanent des peuples qui s’était préalablement réuni sur ce beau territoire d’afro-descendants. Nous y avions observé les vestiges de certaines communautés suite au déplacement forcée, nous avons réuni des preuves et écouté des témoignages. Il est impossible de mettre en doute les graves violations commises par des groupes paramilitaires en lien avec la Brigade 17 et à avec des entreprises d’exploitation du bois telle que Maderas del Darién Pizano SA. Cette-dernière a silencieusement contribué aux stratégies criminelles de l’armée afin de protéger ses intérêts économiques.
Nous connaissons la situation des communautés noires des territoires Curvaradó, leurs efforts pour protéger la vie et les territoires, leurs actions vis-à-vis du droit interne et les abus graves dont elles sont victimes – abus de la part de la brigade 17 en lien avec les paramilitaires.
Dans les deux zones, nous avons écouté des témoignages et avons fait des vérifications techniques qui reflètent la gravité de la situation, et plus particulièrement les opérations paramilitaires dans le Curvaradó, le Cacarica (Tumaradó) sur la rivière Atrato.
Nous avons conscience de l’éthique de ces communautés vivant en plein conflit armé. Elles ont été confrontés à de graves violations du droit humanitaire commises par le gouvernement et la guérilla. Au sein de celui-ci elles ont construit de nouvelles expériences comme les Zones Humanitaires et les Zones de biodiversité. Ne serait-ce que pour cela, elles paient un coût humain élevé à travers la stigmatisation perpétuelle et les complots juridiques montées contre elles.
Nous avons observé le déroulement de l’audience du cas Marino López et autres (Opération Génésis) à la Cour interaméricaine, et déplorons l’attitude des agents de l’État colombien. Pendant l’interrogatoire, ils n’ont pas observé le moindre respect et reconnaissance vis-à vis des témoins Sofia Vivas et Bernardo Roa. Ces-derniers ont été attaqués, d’une certaine manière re-victimisés et les représentants de l’État ont tenté de les faire passer pour de faux témoins.
Les représentants de l’État ont agit de la même manière face aux témoins des communautés du Curvaradó qui ont subi des opérations militaires et paramilitaires desquelles sont complices les entreprises agro-industrielles et extensives de palme, banane et manioc.
A cela s’ajoute la grande vulnérabilité dans laquelle se trouvent les défenseurs des droits de l’homme de la Commission Justice et Paix comme le Père Alberto Franco, Liliana Avila, Abilio Peña, Manuel Garzon, Danilo Rueda, et le Père Javier Giraldo du CINEP (Centre d’Investigations et d’Education Populaire). Il y a quelques jours à peine, le Père Alberto Franco a été victime d’une tentative d’attentat contre la voiture de son chauffeur avec une arme silencieuse. De nombreuses menaces et des campagnes de diffamation, des poursuites illégales constituent le sort des défenseurs des droits humains en Colombie. L’honneur et la liberté de Danilo Rueda ont été gravement affectés ces derniers jours. Des agences de renseignements ont monté un complot faisant croire que celui-ci avaient soudoyé les témoins pour accuser les soldats de la Brigade 17, le général Rito Alejo del Rio, les paramilitaires et l’entreprise Maderas del Darién d’être responsables du déplacement forcé dans le Cacarica en 1997. C’est un véritable montage politique pour ignorer la vérité des victimes et les preuves qui existent contre les personnes responsables du déplacement de la communauté noire. Cette-dernière est revenue sur son territoire en 1999 et s’est constituée en association CAVIDA.
Monsieur le Président, une chose est de défendre les intérêts de l’État à travers un procès juste et impartial, autre chose est d’élaborer une sorte de guerre psychologique contre les victimes au cours du procès. Dans ce cas précis, la vérité dont témoignent les victimes est réelle, historique et collective ; elle ne peut pas être inventée et la nier est une réelle offense à la dignité des témoins.
Monsieur le Président, le message de ses représentants est absolument désastreux pour les victimes, pour la société, et pour la communauté des nations entière. Comment est ce possible de comprendre l’incohérence flagrante entre la proclamation de loi pour les victimes et l’affligeante attitude des représentants de l’État ne reconnaissant pas un minimum le statut de victime de celles-ci.
Monsieur le Président, quelle est votre position face aux victimes? Que pensez-vous de la cécité des institutions et de la mentalité d’une grande partie des agents de la force publique (armée/police) qui nient le droitt et se basent sur leur autorité pour développer des stratégies criminelles?
Monsieur le Président, sur quelles garanties gouvernementales peuvent compter les communautés du Curvaradó et Jiguamiandó qui vivent dans les zones humanitaires et zones de biodiversité et qui malgré tout sont accusées d’être guerrillos, complices ou appuis quelconque? Sans aucun jugement légal et à travers des sortes de complots, les agents de l’Etat les font passer pour tel et nous savons quelles sont les conséquences de telles accusations.
Monsieur le Président, comme vous le savez, un Etat démocratique et de droit se distingue d’un Etat de barbarie à travers le respect des institutions estatales vis-à-vis de ses citoyens.
Considérez vous que l’attitude des représentants de l’Etat devant la Cour interamériacine reflète cela?
Au vu de la gravité des évènements qui ont eu lieu dans les territoires des communautés noires du Bajo Atrato, ce qui s’est passé devant la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme est honteux et ne respecte ni le droit, ni l’éthique et envoie un terrible message aux victimes.
Face à cette situation , il semble qu’une directive présidentielle assurant le respect inconditionnel de l’Etat aux victimes et aux organisations les appuyant et liant les hautes autorités militaires est nécessaire.
Nous savons et garantissons que les agissements des communautés du Cacarica, associés sous le nom CAVIDA, et des conseils communautaires des zones humanitaires et de biodiversité dans le Curvarado et le Jiguamiendo sont très loin de l’attitude irrespectueuse et pompeuse ce ceux qui prétendent défendre les institutions démocratiques de l’Etat.
Monsieur le Président, quelconque attentat contre la vie et l’intégrité, quelconque manipulation psychologique dissimulée est de la responsabilité de l’Etat. Si votre souhait est de s’inscrire dans l’Histoire comme un constructeur de la Paix, le minimum est d’apporter des garanties aux défenseurs des droits de l’Homme de la Commission de Justice et de Paix, afin qu’ils puissent continuer leur mission. Dure labeur à haute valeur ethique qui a commencé il y a 25 ans dans 13 régions conflictuelles de Colombie. Le minimum est d’envoyer un message clair affirmant le droit à la vérité, le droit à la réparation et les conditions de non-répétition aux hommes et femmes haineux et convaincus que les ennemis internes sont les citoyens qui exigent la reconstruction de l’Etat de droit, la justice et le respect aux biens communs de l’Humanité.
Veuillez recevoir les salutations distinguées de la Commission Ethique et de la Vérité,
Adolfo Perez Esquivel – Nobel de la Paix – Argentine
Bernardine Dhorn, avocat et professeur à l’Université du Nord-Ouest de Chicago, directeur du Centre de justice pour les enfants et la famille, États-Unis
Camilo Bernardino da Silva – Mouvement des Sans Terre – MST, Brésil
Carlos Fazio, Professeur à l’Université de Mexico – UNAM, Mexique
Comité éthique contre la torture au Chili
Communauté de Saint-Thomas d’Aquin, Pilar Sanchez, Andres Redondo, Espagne
Enrique Santiago Romero – Avocat, Espagne
Enrique Nuñez, Chili
École des Amériques Watch (SOA Watch), Elizabeth Deligio, Charity Ryerson, États-Unis
Catalunya-Comissió Espai éthique, Vicenta Font de Gregori, Espagne Antonio Pigrau
France Latine Amerique, France
Gilberto López y Rivas, professeur à l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire de Mexico, Mexique
Libertad Sánchez Gil, Association pour la récupération de la mémoire historique, Mérida, Espagne
Lorenzo Loncon, Mapuche, Argentine
Mary Bricker-Jenkins, PhD, Professeur émérite, Université de Temple, Campagne pour les droits économiques des pauvres États-Unis
Miguel Alvarez, SERAPAZ, expert en matière de paix et de négociation, Mexique
Mères de la Plaza de Mayo – Ligne fondatrice, Mirta Baravalle, Argentine
Pierluigi Di Piazza – Responsable du centre Balducci – Udine – Italie
Rick Ufford-Chase, directeur exécutif, Peace Fellowship, États-Unis
Stephen Haymes, DePaul University, Chicago, États-Unis